Des personnages

FRED JOURDAIN & MARTIN PARROT :

UNE DISCUSSION

Quand on jase musique avec Fred, il est évident que les artistes et leurs visions le passionnent. Pas étonnant donc qu'une grande partie de sa production des dix dernières années et ce qui l'a fait connaître par tant de gens ait été d'illustrer les musiciens qui l'inspirent. On sent une attitude, de la vie dans ses portraits. En discutant avec Fred des raisons qui l'amènent à choisir ses sujets, une chose est certaine : ce qui l'interpelle, ce sont les personnages.

 

Fred, qu’est-ce qu’un « personnage » pour toi ?

 

Tu vois, prends Jimi Hendrix, par exemple. C’était un guitariste exceptionnel avec un look bien à lui, mais c’est vraiment sa personnalité qui m’interpelle. C’était un irrévérencieux, quelqu’un qui est arrivé dans le décor à l’époque et a imposé SA vision de ce qu’était la musique. C’est vraiment son attitude qui me parle. Leloup, Dylan, Miles et les autres, c’est la même chose. C’est selon moi leur personnalité propre qui définit leur art et leurs discours. C’est ce qui les rend intéressants et pertinents. Je n’ai pas envie de faire des portraits à la chaîne en me disant « bon, j’ai fait Hendrix, qui est le suivant ? » Il faut que je le feel, et ça, ça dépend de mon mood du moment. Je ne prends pas de commandes spéciales et je ne marche pas en mode repeat. Il faut que je le sente, que je connecte, sinon le résultat n’est pas là.

Des personnages

FRED JOURDAIN & MARTIN PARROT :

UNE DISCUSSION

Quand on jase musique avec Fred, il est évident que les artistes et leurs visions le passionnent. Pas étonnant donc qu'une grande partie de sa production des dix dernières années et ce qui l'a fait connaître par tant de gens ait été d'illustrer les musiciens qui l'inspirent. On sent une attitude, de la vie dans ses portraits. En discutant avec Fred des raisons qui l'amènent à choisir ses sujets, une chose est certaine : ce qui l'interpelle, ce sont les personnages.

 

Fred, qu'est-ce qu'un « personnage » pour toi ?

 

Tu vois, prends Jimi Hendrix, par exemple. C'était un guitariste exceptionnel avec un look bien à lui, mais c'est vraiment sa personnalité qui m'interpelle. C'était un irrévérencieux, quelqu'un qui est arrivé dans le décor à l'époque et a imposé SA vision de ce qu'était la musique. C'est vraiment son attitude qui me parle. Leloup, Dylan, Miles et les autres, c'est la même chose. C'est selon moi leur personnalité propre qui définit leur art et leurs discours. C'est ce qui les rend intéressants et pertinents. Je n'ai pas envie de faire des portraits à la chaîne en me disant « bon, j'ai fait Hendrix, qui est le suivant ? » Il faut que je le feel, et ça, ça dépend de mon mood du moment. Je ne prends pas de commandes spéciales et je ne marche pas en mode repeat. Il faut que je le sente, que je connecte, sinon le résultat n'est pas là.


Si je dessine Hendrix, je m’attends à ce que ma table à dessin soit pleine d’éclaboussures d’encre à la fin… Je dois en quelque sorte devenir Hendrix. La méthode et le résultat sont tout à fait différents dans le cas où je dessine autre chose, comme une scène mélancolique ou romantique. Ça demande une adaptation, c’est un travail de caméléon.

Tu as des exemples d’adaptation, de ton travail de caméléon ?

 

Oui. Bob Dylan, par exemple, a été fait en une séance sous forme de croquis à main levée, avec la volonté de le garder brouillon, notamment avec une ligne plus loose. Cela dit, le résultat, malgré les lignes qui traversent parfois le dessin de manière aléatoire, fait apparaître la poésie de Dylan. Pour moi, ça représente bien le personnage et sa personnalité.

 

Et Leloup ?

 

Leloup, lui, j’ai eu beaucoup de misère à le faire. Il ne fallait pas que je le fasse trop ressemblant ou réaliste. Jean, c’est la sensibilité et l’effervescence des idées. Lui aussi ça part dans tous les sens et il est entouré de toutes ces filles en pensées. Il a deux ou trois sujets récurrents dans ses chansons : les filles, l’amour (qui souvent finit mal) et le voyage – le promeneur. Ça, c’est Leloup et c’est le personnage. Je ne dessinerais pas… je ne sais pas… Gilles Vignault. Je pourrais faire un beau portrait, mais il manquerait quelque chose parce que je ne connecte pas avec sa personnalité. Lui et moi, on est trop éloignés.

 

Il faut que je sente une connexion avec mon sujet, qu’en quelque sorte je fusionne avec lui. Il faut qu’à la suite de ce genre de contact le personnage qui apparaît soit la somme de nos deux personnalités, sinon, le résultat ne sera pas à point.

J’en ai fait des pas pires des dessins qui sont passables, mais je suis de plus en plus difficile envers mon travail. Je pense que c’est une bonne chose même si c’est souvent tortueux ! Haha !


Tu as fait plusieurs portraits de musiciens. Il y a un bon nombre de jazzmans dans le lot : Miles Davis, Bill Evans, Charles Mingus, John Coltrane, Chet Baker, Eartha kitt, Thelonious Monk... Ils ont tous leurs looks à eux, mais contrairement aux autres, ils sont tous en noir et blanc. Qu’est-ce qui t’a attiré vers eux, l’esthétique ou la musique ?

 

Tout comme Hendrix ou Dylan, les jazzmans que j’ai dessinés sont des personnages très particuliers. Bien sûr j’aime leur musique, mais ce sont aussi des « rocks stars » avant le rock. Pour être honnête, si on s’informe un tant soit peu sur la vie de ces musiciens, c’est souvent pas mal plus intense que ce à quoi les gens peuvent s’attendre.

 


La douce voix de Chet Baker et son jeu langoureux sont loin de suggérer ses démons intérieurs, ses relations de dépendance à l’héroïne et ses déboires avec la mafia. Chet Baker s’est déjà fait casser toutes les dents de la bouche avec sa propre trompette par une bande à qui il devait du fric. Miles Davis s’est déjà pointé chez Columbia Records avec un revolver pour réclamer ses royautés. Ce n’est que la pointe de l’iceberg, mais ces artistes-là avaient la fureur de vivre.


Sinon, pour ce qui est du jazz, j’écoute de la musique sans arrêt depuis que j’ai 8 ans. C’est la forme d’art qui m’accompagne à tout moment, une sorte de trame sonore constante qui va au gré de mes états d’âme.

Le jazz est une musique qui me permet une immersion totale lorsque je dessine, le classique aussi, surtout Mozart. C’est plus facile pour moi de me concentrer lorsqu’il n’y a pas de paroles, mais ça va au-delà de ça : pour moi, c’est un peu une méditation.

 

Que ce soit le vieux dixie, le be-bop ou l’acide-jazz-rock complètement déjanté que Miles a proposé durant les années 1970, toutes ces musiques qu’on place sous l’étiquette « jazz » offrent une panoplie d’ambiances qui permettent toutes à leurs façons d’instaurer un rythme de création qui me plaît beaucoup.

J’ai trouvé dans le jazz quelque chose de très émancipateur au niveau de l’improvisation. C’est un peu une dose de chaos qui s’appuie sur une charpente organisée. Cette approche, je l’applique parfois à mon dessin lorsque je laisse dépasser les couleurs hors des lignes contours, en favorisant la spontanéité des traits.

Le jazz est une musique qui me permet une immersion totale lorsque je dessine, le classique aussi, surtout Mozart. C’est plus facile pour moi de me concentrer lorsqu’il n’y a pas de paroles, mais ça va au-delà de ça : pour moi, c’est un peu une méditation.

 

Que ce soit le vieux dixie, le be-bop ou l’acide-jazz-rock complètement déjanté que Miles a proposé durant les années 1970, toutes ces musiques qu’on place sous l’étiquette « jazz » offrent une panoplie d’ambiances qui permettent toutes à leurs façons d’instaurer un rythme de création qui me plaît beaucoup.

J’ai trouvé dans le jazz quelque chose de très émancipateur au niveau de l’improvisation. C’est un peu une dose de chaos qui s’appuie sur une charpente organisée. Cette approche, je l’applique parfois à mon dessin lorsque je laisse dépasser les couleurs hors des lignes contours, en favorisant la spontanéité des traits.

Le jazz est une musique qui me permet une immersion totale lorsque je dessine, le classique aussi, surtout Mozart. C’est plus facile pour moi de me concentrer lorsqu’il n’y a pas de paroles, mais ça va au-delà de ça : pour moi, c’est un peu une méditation.

 

Que ce soit le vieux dixie, le be-bop ou l’acide-jazz-rock complètement déjanté que Miles a proposé durant les années 1970, toutes ces musiques qu’on place sous l’étiquette « jazz » offrent une panoplie d’ambiances qui permettent toutes à leurs façons d’instaurer un rythme de création qui me plaît beaucoup.

J’ai trouvé dans le jazz quelque chose de très émancipateur au niveau de l’improvisation. C’est un peu une dose de chaos qui s’appuie sur une charpente organisée. Cette approche, je l’applique parfois à mon dessin lorsque je laisse dépasser les couleurs hors des lignes contours, en favorisant la spontanéité des traits.

Visuellement, je transpose le jazz en une sorte d’abstraction qui s’appuie sur une base figurative. Pour moi, ce n’est pas juste une musique ambiante, mais bien une façon de me comporter avec ma matière première.

 

Miles Davis a déjà dit : « Il ne faut pas avoir peur des fausses notes en jazz… ça n’existe pas ! »

Qu’en est-il des personnages fictifs que tu dessines ? Frankenstein, l’homme invisible, Dracula ? Pourquoi eux ? D’où vient ton intérêt pour ces sujets-là ?

 

C’est un peu la même chose. Ce sont des personnages qui me fascinent et qui ont une certaine qualité esthétique que j’apprécie. Frankenstein, par exemple, me passionne depuis que je suis jeune. J’avais des jouets à son image et, adolescent, je regardais les vieux films d’horreur de Universal Monsters où l’on retrouve aussi, justement, l’homme invisible, Dracula, The Creature from the Black Lagoon, etc.

 

J’aime vraiment beaucoup ce genre d’esthétique et j’aime la façon dont ça représente la culture de la modernité américaine. L’Ed Wood de Tim Burton m’a d’ailleurs marqué de la même façon et a probablement contribué à mon intérêt pour ces vieux films d’horreur.

Qu’est-ce qui guide, dans ce cas, la façon dont tu les dessines ?

 

Concernant Frankenstein : le monstre ce n’est pas lui, le vrai monstre, c’est son maître. Frankenstein, au fond, c’est une créature aimante. D’ailleurs, cette réalité est bien illustrée dans les films où le monstre est approché par des enfants qui eux le voient comme il est vraiment : un gentil bonhomme un peu nonchalant.

 

La fleur à laquelle il manque quelques pétales sur mon portrait est une référence à une scène tragique que j’apprécie dans un des classiques où la créature est jouée par Boris Karloff. C’est la scène où il tue, par accident et par nervosité, une jeune fille en la laçant dans le lac comme on lance une fleur.

 

Pour moi, ça exprime la fragilité et la maladresse du personnage, tout son malheur dans le fait que le monde qui l’entoure est toujours hors de sa portée, il se fane et disparaît au moindre contact. Franky c’est vraiment un beau personnage.

CRÉDITS PHOTOS

Anthony Jourdain, Catherine Côté, Fred Jourdain, Martin Poulin, Martin Côté

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Ó Affranchi - Le contenu de cette publication ne peut être reproduit sans le consentement de l'auteur

Si je dessine Hendrix, je m’attends à ce que ma table à dessin soit pleine d’éclaboussures d’encre à la fin… Je dois en quelque sorte devenir Hendrix. La méthode et le résultat sont tout à fait différents dans le cas où je dessine autre chose, comme une scène mélancolique ou romantique. Ça demande une adaptation, c’est un travail de caméléon.

Tu as des exemples d’adaptation, de ton travail de caméléon ?

 

Oui. Bob Dylan, par exemple, a été fait en une séance sous forme de croquis à main levée, avec la volonté de le garder brouillon, notamment avec une ligne plus loose. Cela dit, le résultat, malgré les lignes qui traversent parfois le dessin de manière aléatoire, fait apparaître la poésie de Dylan. Pour moi, ça représente bien le personnage et sa personnalité.

 

Et Leloup ?

 

Leloup, lui, j’ai eu beaucoup de misère à le faire. Il ne fallait pas que je le fasse trop ressemblant ou réaliste. Jean, c’est la sensibilité et l’effervescence des idées. Lui aussi ça part dans tous les sens et il est entouré de toutes ces filles en pensées. Il a deux ou trois sujets récurrents dans ses chansons : les filles, l’amour (qui souvent finit mal) et le voyage – le promeneur. Ça, c’est Leloup et c’est le personnage. Je ne dessinerais pas… je ne sais pas… Gilles Vignault. Je pourrais faire un beau portrait, mais il manquerait quelque chose parce que je ne connecte pas avec sa personnalité. Lui et moi, on est trop éloignés.

 

Il faut que je sente une connexion avec mon sujet, qu’en quelque sorte je fusionne avec lui. Il faut qu’à la suite de ce genre de contact le personnage qui apparaît soit la somme de nos deux personnalités, sinon, le résultat ne sera pas à point.

J’en ai fait des pas pires des dessins qui sont passables, mais je suis de plus en plus difficile envers mon travail. Je pense que c’est une bonne chose même si c’est souvent tortueux ! Haha !

Tu as fait plusieurs portraits de musiciens. Il y a un bon nombre de jazzmans dans le lot : Miles Davis, Bill Evans, Charles Mingus, John Coltrane, Chet Baker, Eartha kitt, Thelonious Monk... Ils ont tous leurs looks à eux, mais contrairement aux autres, ils sont tous en noir et blanc. Qu’est-ce qui t’a attiré vers eux, l’esthétique ou la musique ?

 

Tout comme Hendrix ou Dylan, les jazzmans que j’ai dessinés sont des personnages très particuliers. Bien sûr j’aime leur musique, mais ce sont aussi des « rocks stars » avant le rock. Pour être honnête, si on s’informe un tant soit peu sur la vie de ces musiciens, c’est souvent pas mal plus intense que ce à quoi les gens peuvent s’attendre.

La douce voix de Chet Baker et son jeu langoureux sont loin de suggérer ses démons intérieurs, ses relations de dépendance à l’héroïne et ses déboires avec la mafia. Chet Baker s’est déjà fait casser toutes les dents de la bouche avec sa propre trompette par une bande à qui il devait du fric. Miles Davis s’est déjà pointé chez Columbia Records avec un revolver pour réclamer ses royautés. Ce n’est que la pointe de l’iceberg, mais ces artistes-là avaient la fureur de vivre.


Sinon, pour ce qui est du jazz, j’écoute de la musique sans arrêt depuis que j’ai 8 ans. C’est la forme d’art qui m’accompagne à tout moment, une sorte de trame sonore constante qui va au gré de mes états d’âme.

Le jazz est une musique qui me permet une immersion totale lorsque je dessine, le classique aussi, surtout Mozart. C’est plus facile pour moi de me concentrer lorsqu’il n’y a pas de paroles, mais ça va au-delà de ça : pour moi, c’est un peu une méditation.

 

Que ce soit le vieux dixie, le be-bop ou l’acide-jazz-rock complètement déjanté que Miles a proposé durant les années 1970, toutes ces musiques qu’on place sous l’étiquette « jazz » offrent une panoplie d’ambiances qui permettent toutes à leurs façons d’instaurer un rythme de création qui me plaît beaucoup.

J’ai trouvé dans le jazz quelque chose de très émancipateur au niveau de l’improvisation. C’est un peu une dose de chaos qui s’appuie sur une charpente organisée. Cette approche, je l’applique parfois à mon dessin lorsque je laisse dépasser les couleurs hors des lignes contours, en favorisant la spontanéité des traits.

Visuellement, je transpose le jazz en une sorte d’abstraction qui s’appuie sur une base figurative. Pour moi, ce n’est pas juste une musique ambiante, mais bien une façon de me comporter avec ma matière première.

 

Miles Davis a déjà dit : « Il ne faut pas avoir peur des fausses notes en jazz… ça n’existe pas ! »

Qu’en est-il des personnages fictifs que tu dessines ? Frankenstein, l’homme invisible, Dracula ? Pourquoi eux ? D’où vient ton intérêt pour ces sujets-là ?

 

C’est un peu la même chose. Ce sont des personnages qui me fascinent et qui ont une certaine qualité esthétique que j’apprécie. Frankenstein, par exemple, me passionne depuis que je suis jeune. J’avais des jouets à son image et, adolescent, je regardais les vieux films d’horreur de Universal Monsters où l’on retrouve aussi, justement, l’homme invisible, Dracula, The Creature from the Black Lagoon, etc.

 

J’aime vraiment beaucoup ce genre d’esthétique et j’aime la façon dont ça représente la culture de la modernité américaine. L’Ed Wood deTim Burton m’a d’ailleurs marqué de la même façon et a probablement contribué à mon intérêt pour ces vieux films d’horreur.

Qu’est-ce qui guide, dans ce cas, la façon dont tu les dessines ?

 

Concernant Frankenstein : le monstre ce n’est pas lui, le vrai monstre, c’est son maître. Frankenstein, au fond, c’est une créature aimante. D’ailleurs, cette réalité est bien illustrée dans les films où le monstre est approché par des enfants qui eux le voient comme il est vraiment : un gentil bonhomme un peu nonchalant.

 

La fleur à laquelle il manque quelques pétales sur mon portrait est une référence à une scène tragique que j’apprécie dans un des classiques où la créature est jouée par Boris Karloff. C’est la scène où il tue, par accident et par nervosité, une jeune fille en la laçant dans le lac comme on lance une fleur.

 

Pour moi, ça exprime la fragilité et la maladresse du personnage, tout son malheur dans le fait que le monde qui l’entoure est toujours hors de sa portée, il se fane et disparaît au moindre contact. Franky c’est vraiment un beau personnage.

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Anthony Jourdain, Catherine Côté, Fred Jourdain, Martin Poulin, Martin Côté

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