Des Histoires

FRED JOURDAIN & MARTIN PARROT :

UNE DISCUSSION

« (…) les détectives paumés, les femmes de caractère. »


Des Histoires

FRED JOURDAIN & MARTIN PARROT :

UNE DISCUSSION

Fred archive presque tout. Je feuillette de vieux croquis, certains datent de son adolescence. On voit dans ses illustrations qu’il a toujours eu la volonté de raconter des histoires. Au début, elles étaient surtout axées sur des genres bien définis, policiers, science-fiction, toujours avec une bonne dose d’humour et des personnages iconiques. Avec le temps, des thèmes particuliers et une certaine thématique semblent vouloir s’imposer… Fred apparait de plus en plus en phase avec les histoires qu’il souhaite raconter.

Fred, tu peux m’en dire un peu plus sur la façon dont tu racontes des histoires, sur les thèmes que tu explores ?

 

J’ai fait Round Midnight et Rooftop Inspiration au sujet d’un détective privé un peu blasé il y a quelques années… Là je suis ailleurs. En fait, ça fait un moment que je suis plus du côté des rites de passage, de ce que l’on appelle dans le jargon le « Coming of age ». C’est l’idée qu’un personnage évolue au fil d’une aventure et qu’il en ressort généralement grandi, changé… J’ai toujours été inspiré par ce genre de récit. Tom Sawyer est un des premiers livres que j’ai lus, puis Huckleberry Finn. Ce genre d’histoire m’a toujours inspiré, et ce, depuis que je suis gamin.


Le film Thelma et Louise et tout ce que ça représente m’inspirent aussi beaucoup : l’Ouest, la fuite sur la route, les aventures au grand ciel, mais surtout, l’émancipation des personnages. Ce film-là me fait penser à Butch Cassidy & the Sundance Kid. Par contre, là on n’est pas avec des bandits qui tentent de conserver leur liberté une arnaque à la fois, mais bien avec deux femmes qui tentent de se libérer d’un monde machiste… À un moment ça éclate et il n’y a plus de retour possible pour elles.

 

Comme pour Butch et Sundance, ça ne finit pas pour le mieux, mais elles tirent le rideau sur leur aventure en tant qu’individus libres. C’est une super histoire ! Elles réalisent que leur destin n’est pas écrit d’avance et qu’il faut parfois défricher son chemin à grand coup de gueule pour vivre selon ses convictions. Mes illustrations Vent d’Ouest et Beyond the Boundaries sont des représentations de ces idées-là.


Tu parles de rites de passage, tu peux m’en dire plus sur Buffalo Will ?

 

L’environnement est un peu délabré, un genre de boisé près d’un parc industriel avec le chemin de fer… Le petit gars, Will, porte un baluchon et est suivi par un chat. C’est peut-être le sien, on ne sait pas. Il s’est dit « Je pars à l’aventure ! » et sur son chemin, il croise ce gros buffle. Will s’approche avec sa branche pour établir un dialogue. Il y a un genre de magnétisme entre eux, comme s’ils s’apprivoisaient l’un et l’autre. Pour moi, ce tableau représente une espèce de communion avec la nature. Je pense que l’idée est renforcée par la symbolique avec la vieille voiture rouillée et le chemin de fer abandonné dans le décor. Une lueur de bonté dans une scène de poubelles rouillées laissées à l’abandon.

 

Les gens aussi le perçoivent comme ça ?

 

Pas toujours. D’ailleurs, j’aime que les gens se fassent leurs propres histoires avec mes dessins. Ils me demandent ce que ça raconte et je leur renvoie la question. Il y a une histoire à interpréter, certes, mais surtout une histoire à compléter. Et c’est là que le tableau devient intéressant à regarder plus d’une fois. Il y a toujours quelque chose de nouveau à tisser et des histoires à se raconter.


Crois-tu que l’élément narratif de ton tableau repose sur la façon dont tu dessines les protagonistes de tes histoires, soit le fait que tu mettes souvent l’emphase sur un personnage plutôt qu’une scène d’action, par exemple ?

 

Je pense que c’est plus facile de participer à l’œuvre si on peut s’y associer, prendre la place du personnage et, d’une certaine façon, l’accompagner.

 

Star Wars est un bon exemple. Imagine, disons, que je dessine une scène de combat spatial avec des vaisseaux, des lasers et des explosions. Ce serait techniquement un bel exploit, mais à mon sens, ce genre d’illustration a beaucoup moins d’intérêt qu’une scène plus calme et contemplative, par exemple : Luke Skywalker, songeur devant les deux soleils de Tattouine. Cette scène est un moment de rêve et de stupeur, un moment où tout ce qui va suivre va chambouler son destin et celui de la galaxie. Un tableau comme ça, tu peux l’avoir sur ton mur et ne cesser de le regarder et de t’y perdre. Du moins, c’est ma vision sur le sujet, c’est peut-être ma sensibilité personnelle. Au final, j’imagine que j’essaie de faire des images qui me plaisent…

 

Plus jeune, je cherchais toujours une façon de mieux m’exprimer avec le dessin, je voulais me perfectionner, surtout au niveau technique. C’était nécessaire et ça l’est toujours, mais aujourd’hui, je pense que la technique est un vocabulaire qui est là pour aider à raconter ou dire quelque chose plutôt qu’une fin en soi.


Pour ce qui est de La Vigile, tu t’es permis un projet plus engagé, non ?

 

La Vigile, pour moi, c’est l’image de la justice sociale. Je concevais le personnage comme étant la représentation moderne d’un gardien du royaume, une sorte de chevalière qui veille sur nous. Cette image, je l’ai dessinée dans le contexte du Printemps érable. Mon but était de faire quelque chose qui soit plus grand que juste représenter l’oppression et la colère. Je voulais que l’image inspire l’espoir et l’engagement. Au fond, les idées évoquées par ce dessin pourraient s’appliquer à plusieurs cas de résistance populaire.

Parmi les petits détails, les marques sur son bras représentent le nombre de jours de veille qu’elle a accumulée. L’oiseau sur sa main et le soleil noir, un genre de « corporate sun », ce sont des symboles qui aident à définir le personnage, mais aussi, le contexte dans lequel il évolue.


Et Mosquito Street ?

 

Mosquito Street, c’est autre chose. L’inspiration pour cette illustration est en partie d’origine historique. C’est quelque chose que je n’avais pas encore abordé dans le passé. Ce dessin est une scène tirée d’une histoire plus élaborée. Il y a beaucoup d’éléments oppressants dans l’image, l’Amérique d’après-guerre et les symboles de la ségrégation, mais aussi une touche un peu funky qui vient jurer avec le reste. Les éléments narratifs et les symboles – personnages, décors, esthétique – dépendent donc un peu plus d’autres morceaux de l’histoire que j’ai en tête et qui ne sont pas intégrés dans ce tableau que j’envisageais intégrer dans un triptyque.

 

C’est intéressant, car j’ai reçu plusieurs commentaires et interprétations sur des éléments mystérieux de ce dessin. Je voulais jouer avec les gens en le sortant, seul comme ça, hors de sa série. Il y a assez d’indices dans cette scène-ci pour commencer à se faire une idée de l’histoire du personnage principal. Fondée ou pas, c’est amusant de voir les réactions et d’entendre parler les gens à ce sujet. Je commence à pouvoir jouer dans mes compositions et proposer des illustrations un peu plus élaborées et c’est assez exaltant en fait !


CRÉDITS PHOTOS

Anthony Jourdain, Catherine Côté, Fred Jourdain, Martin Poulin, Martin Côté

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Fred archive presque tout. Je feuillette de vieux croquis, certains datent de son adolescence. On voit dans ses illustrations qu’il a toujours eu la volonté de raconter des histoires. Au début, elles étaient surtout axées sur des genres bien définis, policiers, science-fiction, toujours avec une bonne dose d’humour et des personnages iconiques. Avec le temps, des thèmes particuliers et une certaine thématique semblent vouloir s’imposer… Fred apparait de plus en plus en phase avec les histoires qu’il souhaite raconter.

Fred, tu peux m’en dire un peu plus sur la façon dont tu racontes des histoires, sur les thèmes que tu explores ?

 

J’ai fait Round Midnight et Rooftop Inspiration au sujet d’un détective privé un peu blasé il y a quelques années… Là je suis ailleurs. En fait, ça fait un moment que je suis plus du côté des rites de passage, de ce que l’on appelle dans le jargon le « Coming of age ». C’est l’idée qu’un personnage évolue au fil d’une aventure et qu’il en ressort généralement grandi, changé… J’ai toujours été inspiré par ce genre de récit. Tom Sawyer est un des premiers livres que j’ai lus, puis Huckleberry Finn. Ce genre d’histoire m’a toujours inspiré, et ce, depuis que je suis gamin.

Le film Thelma et Louise et tout ce que ça représente m’inspirent aussi beaucoup : l’Ouest, la fuite sur la route, les aventures au grand ciel, mais surtout, l’émancipation des personnages. Ce film-là me fait penser à Butch Cassidy & the Sundance Kid. Par contre, là on n’est pas avec des bandits qui tentent de conserver leur liberté une arnaque à la fois, mais bien avec deux femmes qui tentent de se libérer d’un monde machiste… À un moment ça éclate et il n’y a plus de retour possible pour elles.

 

Comme pour Butch et Sundance, ça ne finit pas pour le mieux, mais elles tirent le rideau sur leur aventure en tant qu’individus libres. C’est une super histoire ! Elles réalisent que leur destin n’est pas écrit d’avance et qu’il faut parfois défricher son chemin à grand coup de gueule pour vivre selon ses convictions. Mes illustrations Vent d’Ouest et Beyond the Boundaries sont des représentations de ces idées-là.

Tu parles de rites de passage, tu peux m’en dire plus sur Buffalo Will ?

 

L’environnement est un peu délabré, un genre de boisé près d’un parc industriel avec le chemin de fer… Le petit gars, Will, porte un baluchon et est suivi par un chat. C’est peut-être le sien, on ne sait pas. Il s’est dit « Je pars à l’aventure ! » et sur son chemin, il croise ce gros buffle. Will s’approche avec sa branche pour établir un dialogue. Il y a un genre de magnétisme entre eux, comme s’ils s’apprivoisaient l’un et l’autre. Pour moi, ce tableau représente une espèce de communion avec la nature. Je pense que l’idée est renforcée par la symbolique avec la vieille voiture rouillée et le chemin de fer abandonné dans le décor. Une lueur de bonté dans une scène de poubelles rouillées laissées à l’abandon.

 

Les gens aussi le perçoivent comme ça ?

 

Pas toujours. D’ailleurs, j’aime que les gens se fassent leurs propres histoires avec mes dessins. Ils me demandent ce que ça raconte et je leur renvoie la question. Il y a une histoire à interpréter, certes, mais surtout une histoire à compléter. Et c’est là que le tableau devient intéressant à regarder plus d’une fois. Il y a toujours quelque chose de nouveau à tisser et des histoires à se raconter.

Crois-tu que l’élément narratif de ton tableau repose sur la façon dont tu dessines les protagonistes de tes histoires, soit le fait que tu mettes souvent l’emphase sur un personnage plutôt qu’une scène d’action, par exemple ?

 

Je pense que c’est plus facile de participer à l’œuvre si on peut s’y associer, prendre la place du personnage et, d’une certaine façon, l’accompagner.

 

Star Wars est un bon exemple. Imagine, disons, que je dessine une scène de combat spatial avec des vaisseaux, des lasers et des explosions. Ce serait techniquement un bel exploit, mais à mon sens, ce genre d’illustration a beaucoup moins d’intérêt qu’une scène plus calme et contemplative, par exemple : Luke Skywalker, songeur devant les deux soleils de Tattouine. Cette scène est un moment de rêve et de stupeur, un moment où tout ce qui va suivre va chambouler son destin et celui de la galaxie. Un tableau comme ça, tu peux l’avoir sur ton mur et ne cesser de le regarder et de t’y perdre. Du moins, c’est ma vision sur le sujet, c’est peut-être ma sensibilité personnelle. Au final, j’imagine que j’essaie de faire des images qui me plaisent…

 

Plus jeune, je cherchais toujours une façon de mieux m’exprimer avec le dessin, je voulais me perfectionner, surtout au niveau technique. C’était nécessaire et ça l’est toujours, mais aujourd’hui, je pense que la technique est un vocabulaire qui est là pour aider à raconter ou dire quelque chose plutôt qu’une fin en soi.

Pour ce qui est de La Vigile, tu t’es permis un projet plus engagé, non ?

 

La Vigile, pour moi, c’est l’image de la justice sociale. Je concevais le personnage comme étant la représentation moderne d’un gardien du royaume, une sorte de chevalière qui veille sur nous. Cette image, je l’ai dessinée dans le contexte du Printemps érable. Mon but était de faire quelque chose qui soit plus grand que juste représenter l’oppression et la colère. Je voulais que l’image inspire l’espoir et l’engagement. Au fond, les idées évoquées par ce dessin pourraient s’appliquer à plusieurs cas de résistance populaire.

Parmi les petits détails, les marques sur son bras représentent le nombre de jours de veille qu’elle a accumulée. L’oiseau sur sa main et le soleil noir, un genre de « corporate sun », ce sont des symboles qui aident à définir le personnage, mais aussi, le contexte dans lequel il évolue.

Et Mosquito Street ?

 

Mosquito Street, c’est autre chose. L’inspiration pour cette illustration est en partie d’origine historique. C’est quelque chose que je n’avais pas encore abordé dans le passé. Ce dessin est une scène tirée d’une histoire plus élaborée. Il y a beaucoup d’éléments oppressants dans l’image, l’Amérique d’après-guerre et les symboles de la ségrégation, mais aussi une touche un peu funky qui vient jurer avec le reste. Les éléments narratifs et les symboles – personnages, décors, esthétique – dépendent donc un peu plus d’autres morceaux de l’histoire que j’ai en tête et qui ne sont pas intégrés dans ce tableau que j’envisageais intégrer dans un triptyque.

 

C’est intéressant, car j’ai reçu plusieurs commentaires et interprétations sur des éléments mystérieux de ce dessin. Je voulais jouer avec les gens en le sortant, seul comme ça, hors de sa série. Il y a assez d’indices dans cette scène-ci pour commencer à se faire une idée de l’histoire du personnage principal. Fondée ou pas, c’est amusant de voir les réactions et d’entendre parler les gens à ce sujet. Je commence à pouvoir jouer dans mes compositions et proposer des illustrations un peu plus élaborées et c’est assez exaltant en fait !

CRÉDITS PHOTOS

Anthony Jourdain, Catherine Côté, Fred Jourdain, Martin Poulin, Martin Côté

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Le Dragon bleu