Jeudi soir, Montréal au parc Émilie Gamelin. Maudite belle soirée pour manifester avec des milliers de gens qui en ont plein leur casque. Ça fait des années que je déprime en lisant les journaux, que j’angoisse en essayant de mesurer l’ampleur de leur emprise. Fuck that, ce soir je marche au rythme des djembés. Ce soir, on crie des slogans révolutionnaires ! La nuit accueille la clameur avec calme, la température est corporelle et il y a dans l’air une odeur embrasée, un mélange de sueur, de colère et de crainte.
Je rejoins un groupe d’amis tandis que les gens arrivent et se massent peu à peu. Une équipe de Radio-Canada pose des questions aux manifestants. Ils veulent savoir pourquoi. Les téléspectateurs veulent tout savoir. Pourquoi descendez-vous dans la rue même si les attroupements sont illégaux ? Pourquoi avez-vous rejeté l’offre du gouvernement ? Je suis là parce que pour la première fois de ma vie j’aime sans réserve des milliers de gens dont je partage la vision. Je suis là parce que la réalité est en train de me donner tort d’avoir été si pessimiste. Mais je ne m’adresse pas à la caméra; je me méfie. Je préfère rester en retrait et prendre des notes pour plus tard. La vraie caméra, ce soir, celle à qui aucun détail n’échappe, c’est moi.